Théorie de la Pute
Pour la pute, il est extrêmement important d’être à tout moment magnifique, à la fois en apparence et intellectuellement. En tant que fidèles déviantEs de la féminité, nous nous devons dans une certaine mesure d’afficher une haine bien sentie à l’égard de toute ce qui est immaculé et fade. Les petits garçons et les petites filles ont besoin de plus de modèles d’obscénité dans leur vie ; de plus de salopes magnifiques et cinglées à admirer. IlLEs doivent apprendre ce que c’est de vouloir, d’être des putes incapables de ravaler et réprimer leurs émotions.
« On ne naît pas pute, on le devient » ne veut rien dire, alors fermez vos putain de cahiers. Nous sommes des contradictions à la démarche fière, et on n’en a rien à battre. Si tu nous cherches, on va t’anéantir toi ainsi que tout ce qui t’est cher. Si tu baises avec nous, on te brisera le cœur ou on tombera peut-être amoureuSEs pour mieux te haïr à jamais. On est accros au dégoût de la société, Jeunes-Filles corrompues qui ne connaissent aucune retenue.
On veut tout détruire, en talons aiguilles sertis de diamants. La violence de nos désirs laisse un arrière goût qui ne ressemble à celui d’aucun autre fluide corporel, c’est un venin mortel que seuls les corps les plus masochistes peuvent déguster et atteindre en rampant pour en redemander. On invite des hommes chez nous, en attendant la dégradation qui garantira notre vengeance, et d’ici-là on se fourre leurs bites dans la bouche, et on avale. Rien à foutre.
On contemple l’image de notre corps dans chaque reflet qui croise notre chemin, et on ne peut s’empêcher de passer la journée à baiser avec nous-mêmes, tellement notre beauté est incroyable. On arbore notre manque d’assurance tel une couronne dorée qui scintille sur nos jolies têtes ; fièrEs (ou honteuSEs) de nos nombreuses imperfections, à en crever. Nous sommes horriblement vaniteuSEs, et toutes les putes savent que seule une autre pute peut les satisfaire.
Être pute n’est pas une sexualité, une chose pareille n’existe pas. Nos orgasmes sont inséparables de notre haine, de notre sens de la mode et de nos peurs ; rien ne nous fait jouir qui ne nous révolte également, d’une manière ou d’une autre. Nous faisons l’expérience de ce monde comme s’il était un terrain de jeu, trop laid et étriqué pour nos fantasmes ; aucune des zones délimitées par le « sexe » ne peut contenir ces pensées cochonnes. Le sexe, pour nous, c’est faire tourner les têtes, se râper les genoux, et pisser n’importe où, mais surtout pas dans les toilettes.
Si tu vois une pute descendre une rue animée d’un pas chaloupé, tu remarqueras peut-être ses sourcils froncés alors qu’elle marmonne rageusement. C’est parce que ta présence la dérange. Chaque corps insignifiant qui la frôle risque d’être en proie à sa haine. La haine la fait bander. Elle ne perd pas une seconde à former des hypothèses sur toi en fonction de ce que tu portes – tes chaussures ne sont pas assez féroces, ta démarche n’est pas assez sexy, ton regard n’est pas assez intense. Tu n’es rien comparéE aux personnes sublimes qui se cachent dans la ruelle, à l’affût, prêtEs à t’agresser.
La politique n’intéresse pas la pute, la pute est la politique. SéduitE par la douleur incessante qu’est vivre, mourir et souffrir, elle se nourrit à la fois de sa peur de touts petits riens et de l’ivresse de n’avoir rien à perdre. Elle pense que toute tentative de parler de ce monde avec logique n’est que pure illusion : la rationalité, cette activité inutile, typique des connards bredouillants. Tenter de définir son contexte ou d’analyser son existence est tout à fait futile ; absolument rien ne fait sens chez elle. La pute n’a d’intérêt critique que pour l’astrologie, préférant l’opinion des constellations de nos cieux aux élucubrations de quelque vieux blanc à l’agonie.
Brillamment amère, la pute s’accroche au chagrin et à la colère comme à des pierres précieuses qui sertissent son cœur ; ses traumatismes coulent et palpitent avec amour dans ses veines, tels de minuscules éclats de verre. Elle aspire en partie à la tristesse et à la déception dont elle connaît la vérité ; elle est emplie de vide et d’ennui en son absence. Pour elle, voir le monde à travers le chagrin, c’est voir en couleur, sentir la sensation de la vie picoter dans chaque terminaison nerveuse de son corps. Sans lui, la joie aussi lui échappe.
La pute est tout à fait exposée – elle est une blessure à vif, qui suppure une excrétion douce et mortelle sur toute chose, toute personne qui la touche. Elle est nue, et dissimule ce qui lui est sacré aux yeux des autres, à jamais, dans la fente de son entre-jambes. Si tu y regardes de trop près, prépare-toi à ce qu’elle te brise un membre, la lèvre, ton putain de cœur, car tu ne peux atteindre ce qui lui est précieux. Sale espèce humaine de merde.
Une vraie pute sait, au fond d’elle-même, pourquoi ce monde fait semblant de la détester. Toute sa vie, elle a été dotée d’un charme irrésistible qui, doublé d’une versatilité inconvenante, a le pouvoir de révéler les plus indésirables de leurs désirs à ceLLEux qui l’entourent. Les messieurs mariés (et leurs épouses mortes d’ennui) se trémoussent à n’en plus pouvoir à la vue de son cul, alors que les universitaires desséchés se mouillent les lèvres avec enthousiasme, excitéEs par son esprit vulgaire. Lorsqu’elle quitte la pièce, un énorme soupir de soulagement se fait entendre : on n’est plus obligéEs de regarder ses perversités frémissantes en face. SeulEs dans leurs chambres modernes, ilLEs se branlent honteusement sur son image, en se détestant en silence et en maudissant la routine grossière de leur vie.
Elle rit aussi facilement qu’elle pleure. Lorsque Mercure est dans sa phase rétrograde, elle sait que la catastrophe est assurée si elle sort de son lit. Mais même le foutu alignement des planètes, qui travaille main dans la main avec cette société triviale et méprisable,
ne peut empêcher sa folie de déteindre sur son entourage et son environnement. Les circonstances qui les font pleurer, elle et les autres putes, créent aussi des hystériques en puissance ; des îlots autrefois isolés dans la folie se rejoignent alors pour partager une bonne rigolade, et peut-être aussi une petite vengeance.
La pute est une salope, oui, mais c’est aussi unE clochardE et unE jeune délinquantE ; c’est une pédale, une queen, une gouine en colère, un manarchist insurrectionnaliste en talons hauts, unE travelo tyrannique. Elle est tout et rien, tout le monde et personne à la fois. Glamour sous ses nombreux déguisements et transparentE dans ses désirs obscènes. Elle déborde d’amour pour ceLLEux qui répandent la haine, toujours enchantéE par la beauté cachée sous cette stérile économie des corps. Rien ne lui donne plus de plaisir que de cracher au visage de l’humanité, en riant à gorge déployée alors que les gouttes de ses crachats puants dégoulinent sur les mentons pointus, avant de s’écraser avec délectation sur le trottoir sale qui se déroule sous ses pieds